Réflexions sur un théâtre symboliste contemporain

 
Introduction

 

Pour définir ce que serait un théâtre symboliste, il faudrait dans un premier temps se pencher sur mes propres théories du théâtre, puis sur le symbolisme en lui même, enfin il faudrait réunir ces deux réflexions pour n'en tirer qu'une: une réflexion sur le théâtre symboliste contemporain.

 

 

I. Qu'est-ce que le théâtre?

 

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Il me semble que le théâtre est la forme actuelle qui accueille et développe le mieux le symbolisme, elle a aussi l'avantage d'être trans-genre et sans cesse en évolution, on pourrait sans doute affirmer que le théâtre est un art qui se cherche. D'ailleurs tous les arts ne se cherchent-ils pas? Il serait mauvais pour un art d'être sûr de lui, cette sécurité et son aboutissement conduisent inéluctablement à sa perte comme nous l'a prouvé par de nombreuses reprises l'histoire de l'art, et même l'histoire des civilisations.

Car l'art est un produit de l'Homme pour l'Homme. L'art est un miroir de lui-même, un reflet de ce qu'il a de meilleur et ce qu'il a de pire avec une vaste palette de nuance. Et cette qualité ne fait pas exception au théâtre. L'art-reflet ne sert pas qu'à idéaliser notre vision de nous-même à nous détruire ou a nous valoriser. Il doit être un medium qui nous éclaire sur ce que nous étions, ce que nous sommes, et ce que nous serons. Sans toute fois aller jusqu'à dire qu'il est prophétique, il est cependant terriblement fiable si on sait l'écouter. Pas plus que le tarot n'est tout à fait divinatoire. Ils sont, pourrait-on dire, comme un prolongement de notre intuition servi par notre intelligence, notre émotionnalité et notre intuition. L'art plastique est arrivé à une limite de lui-même, en corrélation avec notre développement, qui ne se contente plus d'une dimension binaire. Il faut de la tridimensionnalité, l'Homme est entré dans son ère tridimensionnelle. Ainsi l'on constate que l'art pictural ne suffit plus, qu'il y faut ajouter de la vidéo, des installations et des performances... Voilà pourquoi le théâtre me semble plus ''avant-gardiste'': il contient déjà en lui les germes de tous ces formats.

Le théâtre comme le reste a ses cycles, il est tantôt dans une scène aux frontières bien définies, tantôt il cherche à les dépasser, à les détruire, pour enfin y revenir. Il serait réducteur de définir le théâtre par un espace défini ou se meuvent des individus selon une prédétermination. Mais il me semble nécessaire d'y placer la figure humaine, ou tout du moins des entités (objets, animaux, types ou allégorie) personnifié. Car si l'on y songe, il serait envisageable de concevoir un théâtre pensant comme un chien et se mouvant comme un chien, mais l'homme n'y gagnerait rien pour lui-même sinon que de dépasser se concept. Soyons clair, le théâtre ne peut que s'adresser à l'Homme, le chien n'y verra sans doutes jamais d'intérêt. Le théâtre peut se passer de l'homme physiquement dans son espace défini, mais il ne peut se passer de lui en tant que sujet. L'Homme est le sujet de l'Homme et le théâtre est sont medium. Qu'il soit théocentriste ou anthropocentriste, la visée final n'est que l'éveil de l'homme ou bien son contrôle.

Entendons par là dans ce que j'appelle théâtre la globalité des spectacles, de l'improvisation à l'opéra; comme avant la Comédie comprenait la tragédie et notre actuelle comédie, je crois que le théâtre regroupe tous les spectacles, devrais-je à présent ne plus employer que le terme de spectacle? Cela rend la définition encore plus complexe, mais cela semble nécessaire.

Dans ce cas me direz-vous, que fais-je du cinéma? Je l'inclus tout naturellement dans ma notion de spectacles. Le cinéma découle du théâtre, il a dans ses origines l'un des but premier de faire des sortes de captations avant de prendre son autonomie. Mais rappelons également l'actor studio: ce sont les acteurs du théâtre qui ont formé ceux du cinéma... En réalité, il me semble que le cinéma n'est qu'une branche, une manifestation du spectacle, à ceci près qu'il est un résultat fini à sa présentation et qu'il nécessite une réalisation en amont comme la peinture ou la photographie, nous pourrions le qualifier en ce terme de bidimensionnel; certes, il se compose d'une succession de tableaux, mais sa forme physique le réduit à un objet plus statique, tandis que le spectacle est fragile et instable par essence, il est au plus près de la nature fragile de l'Homme. Ainsi je considérerais le cinéma comme un outil intermédiaire entre l'art pictural et le spectacle de scène.

Il faudrait donc refléter la fragilité de la nature de l'homme pour la toucher: le rendre conscient de sa tridimensionnalité passé/présent/futur. Mais s'il faut le toucher il faut le faire sans qu'il ne s'en aperçoive vraiment, sinon, il place ''des barrières de conscience''. C'est que l'Homme comme on l'a dit est de nature fragile, instable, sensible et qu'il cherche sans cesse à s'en protéger en se construisant un monde de sécurité et d'habitudes. C'est pourquoi le théâtre se doit d'avoir une certaine distance, comme un reflet dans la vitre qui permettrait de voir ce qui est à côté de nous, ce que nous sommes sans en avoir l'intention. Il faut nous surprendre, nous cueillir là où nous n'avons pas encore mis de barrières et de gardes-fous. Et c'est pourquoi le théâtre se doit de ne pas être attendu, mais déroutant, hors de nos connaissances. Il doit nous troubler, nous surprendre, peut-être même nous choquer... Et c'est pourquoi le recours à l'onirisme, à l'imaginaire et pour le dire, au symbolisme me semble le moyen le plus sûr pour atteindre ces petites zones inconscientes que nous défendons si bien par nature... Être à l'écoute de nous-même pour nous ''éveiller'' passe par là. Et le théâtre est ce medium d'éveil des consciences et de l'inconscience qui touchera ce qui nous nuit et nous rend fragile. Je n'irais pas jusqu'à dire que cela nous rendrait absolument fort, car nous ne sommes pas absolument fragile, mais cela nous équilibrerait. Le théâtre serait donc un intermédiaire de l'équilibre.

 

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L'acteur, s'il y a présence physique d'acteur sur scène, doit être à la disposition total de l'entité à restituer. Cette entité est une essence fragile qui n'a d'instant de vie que lorsque l'acteur l'incarne. L'image d'un parasite (bénéfique ou négatif) s'en rapprocherait. L'acteur doit lui-même être bouleversé dans sa conscience par le rôle incarné, il ne s'agit pas là de consommation, mais d'un travail de soi, sur soi, pour soi et pour les autres. Ne pas être transformé par un rôle serait un échec. L'acteur me semble-t-il choisis d'être acteur parce qu'il est en quête, quête de lui-même ou d'autre-chose, - ce qui revient à peu près au même mais ne fait se déplacer que le lieu de la recherche - une chose que nous cherchons tous sans le savoir, et ce qui affirme ne rien chercher sont ceux qui ont abandonné.

L'acteur accepte donc de se donner. Il est possible de voir encore lors des répétitions l'acteur en tant que lui-même et non en tant qu'entité incarnée, mais lors d'une représentation, lorsqu'il est familier de cette entité, qu'il se l'est approprié et qu'il s'est laissé touché par elle, il ne doit plus transparaître, il ne doit alors rester sur scène que l'entité incarné.

 

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J'ai évoqué au dessus la notion de don, il me semble que cette notion de dont est essentiel pour que le spectacle opère. Le théâtre ne peut être aboutis sans le don. Il s'agit d'un triangle entre les concepteurs de la pièce (metteurs en scène, acteurs, scénographes, costumiers...); les entités (caractères humains, objets, animaux personnifié, allégories...); et le spectateur, celui qui se laisse agir, qui se rend volontaire consciemment ou non de se laisser transpercer par le contenu invisible, les ondes à fortes porté, qui va imperceptiblement l'ébranler...

C'est donc une trinité? Oui, et je dirais même plus, que la trinité chrétienne du père, du fils et du saint esprit est la reproduction rapproché de ce principe. Je suis athée (les croyants en un dieu penseront certainement l'inverse) et je crois que la religion n'est qu'un théâtre, une structure faite pour nous éveiller et transpercer imperceptiblement notre cuir émotionnel, intellectuel et intuitif. Croire en un dieu serait pour se rendre plus fort, se bonifier, se rassurer, accepter d'être le spectateur qui se laissera transpercé sans voir la ''lance lumineuse'', comme la réfraction lumineuse. Tandis que l'entité divine (cf: le père) est l'équivalent de l'entité joué par l'acteur et que la doctrine religieuse, le corps religieux (et certains ''fidèles'') sont les concepteurs (cf: les fils).

Ce que je nomme le don, ce qui nous porte, à la mesure d'une foi athée comparable en puissance à la foi religieuse serait le saint-esprit: le message puissant qui nous traverse et nous conduit jusqu'à notre équilibre en passant par notre éveil.

Pardon si je blesse les croyant, mais croire en dieu selon moi est le même phénomène que le spectateur qui va au spectacle. Ce qui est essentiel comme un pilier est ''la foi'', et je crois bien que je suis athée que j'ai cette fois, qui en attendant que je meurs et disparaisse parmi le reste, occupe ma vie à me rendre éveillée et équilibrée.

 

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Le naturalisme échouerait donc par sa volonté d'être trop fidèle au modèle, il ne permettrait pas la distance nécessaire à la médiation du ''don'', appelons donc par métonymie cette chose recherchée qui apporte l'éveil et l'équilibre. Le théâtre pour être efficace, doit avoir une distance. En ce sens les théâtres naturalistes, réalistes et politiques seraient gratuit, la volonté trop absente ou trop affiché nuirait au don. J'insiste donc ici sur l'importance de la distance, ou distanciation (sans vouloir paraître trop Brechtienne). Le don n'est donc pas gratuit, il est produit par l'effort et ne peut être que par la volonté de l'acteur de toucher son entité et de celui du spectateur d'aller au spectacle, bien que son travail soit moindre car le ''don'' s'opère en ouvrant des portes non fermées. Le spectateur du naturalisme, du réalisme ou du théâtre politique s'attendra à un quelconque sujet, bouleversant ou non, car dans ce cas si le spectateur s'émeut d'un fait gave, il ne le fais qu'en réveillant une sensibilité qu'il se sait déjà: le spectateur qui va voir un spectacle sur les camps de concentration s'imagine par avance ce qui l'attend, il est donc préparé à fermé les portes de sa fragilité et à ne laissé entrouverte que sait qu'il se croit solide. Il se peut alors qu'une porte qu'il croyait solide tombe, c'est là il me semble la seule puissance de ces théâtres peu distanciés, soit de montrer la fragilité et les failles du spectateur et de ses congénères. L'erreur est de s'arrêter là. Le théâtre symbolisme à mon sens va plus loin. Le théâtre symboliste ne défonce pas des portes ouvertes, mais passe au travers des portes fermés. Et l'effet est à retardement, le spectateur sait que ses portes sont fermés et croit que rien d'important ne s'est produit, et c'est tout le contraire, le symbolisme tel un cheval de Troies va l'agir de l'intérieur.

On peu parler là d'une forme invasive, tel un virus, qui j'ose le croire nous ferrais plus de bien que de mal, les théâtres de la réalité passent à côté pour des vaccins de la bonne conscience.

 

 

 

 

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Il y aurait bien un peu de cette distanciation Brechtienne, après tout, Brecht est d'une génération post-symboliste. L'idée est de camoufler le message pour mieux pénétrer le spectateur. Le spectacle apparaît donc violent, loin de l'image traditionnelle de divertissement que le théâtre commercial du début du XXème à voulu diffuser... Brecht parle de la seconde guerre mondiale sous le masque de la colonisation des Indes. Avec le recul de nos années, le parallèle semble trop évident pour être puissamment efficace, il manque encore de distance. Ce n'est pas la distance de la Terre à la lune qu'il faut adopter, mais celle de la Terre au Soleil; soit, peut-être la distance semblait-elle plus grande sous les menaces d'Hitler.

Cependant que le masque du divertissement est bien utile pour laisser ouvertes les portes qu'un spectateur refermerait en s'attendant à un spectacle utile. Le danger serait de tomber dans la caricature et de ne faire du symbolisme qu'un ensemble de belles images absolument inutiles, objets de consommations et de médiations, car alors l'effet inverse se produira, il n'y aura plus de sens caché et donc pas d'intérêt à transpercer des portes sinon de bêtise. L'esthétique est nécessaire au symbolisme pour faire ''passer la pilule'', il endort la conscience et agit plus facilement, comme une capsule de médicament faciliterait l'action de celui-ci dans l'organisme. L'esthétique sert à la distanciation.

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Le théâtre ne doit en aucun cas être plaisant, ni complaisant. Il serait d'ailleurs préférable que le théâtre soit déplaisant, choque, bouleverse, car le théâtre se doit avant tout de nous interroger. Il sera plus facile de se remettre en question soi-même et le monde si l'on sait qu'un spectacle ne nous a pas plus, en revanche, remettre en question l'humain à partir de bonne impression est plus mal-aisé. C'est que le spectacle se doit de nous remettre en cause, s'il est complaisant ou déplaisant, il n'est qu'un pur divertissement.

Le plaisant, se serait un spectacle souvent esthétisant, dont le résultat répond à toutes nos attentes, qui ne nous surprend en aucune manière, pire, que l'on aurait déjà vu, un assemblage de clichés, de territoires connus sous l'étiquettes ce nouveauté ou de création. Il est vrai que c'est parfois agréable à regarder et rassurant, mais tout de même, cela ne nous fais pas avancer.

Le complaisant est encore pire, il est créé dès l'origine pour nous plaire, il use tout les préconçus, les succès usés et rejoué mille fois. Chaque élément à été testé pour ne choquer personne et obtenir l'assentiment général, le succès, ce sont les vieux pots de confitures dont plus personne n'ignore la saveur. Il est bien souvent commercial. Le public sait d'office en allant voir ce spectacle ce qu'il attend et il sait qu'il ne sera pas déçu. En comparaison, le spectacle plaisant laisse une part de mystère, il ne lui manquerait que quelques tours et ingrédients pour passer du côté de la remise en cause...

Quand à définir le déplaisant, et je ne parle pas des ratés pur (ces formes dont tout serait à jeter s'il en existe), mais des spectacles qui vont à contre-courant, qui ne se jouent pas pour obtenir le succès public et unanime, ceux qui osent déplaire car c'est leur idée, ceux qui ne se laissent pas influencer par l'attente du public... Ces spectacles qui assument leur vie propre et se cherchent un aspect novateur, indépendant et non con-sensuel... ces spectacles là sont peut-être déplaisant, peut-être nous choquent-ils, nous bouleversent-ils jusqu'à réveiller en nous de véritables questions.

Alors disons simplement que le théâtre ne se doit plus aujourd'hui d'être plaisant ou complaisant. S'il doit nous séduire par son naturel divertissant, il doit cacher un sens et une visée profonde qui agirait sans peut-être nous séduire, au risque de nous blesser, de nous déplaire, agir de la sorte qui lui plairait mais nous faire réagir. Alors seulement s'il même de l'esthétique et du plaisir il agira de la façon la plus perverse et la plus absolu qu'il soit. Oui, il me semble que le meilleur théâtre et le théâtre de la perversité, celui qui nous bouleverse de l'intérieur. J'ajouterais qu'il en irait de même des autres formes d'art et d'expressions.

 

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Ce qui fait que l'on est prêt à regarder ce qui passer pour voyeur est annulé par la notion, de don. C'est ce don qui nous permet de regarder ce que dans un autre contexte nous ferrait détourner la tête.

 

 

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